» Un même fond, une nouvelle intrigue

A nouvelle année, nouveau Journal

HEART.

J’étais au centre de ce nom, lecteur. Le « A » qui liait sans s’en rendre compte tous les membres d’un groupe par sa simple présence. Je n’étais pas aussi sublime que H., ni aussi délicieuse que R., mais j’avais pour moi d’aimer E., le meilleur ami de T., ce qui me rendait de jour en jour plus rayonnante.
Jusqu’à ce que tout bascule. Une rupture. Un accident. Des morceaux de verre. Une table d’opération. Plus rien.

Ils croient que je ne sais pas ce qu’il s’est passé depuis l’accident. Ils pensent pouvoir garder pour eux leurs blessures. Ils pensent que, sous prétexte que je suis morte, je ne sais pas ce qu’il se passe. La mort a cela d’époustouf qu’elle permet d’arrêter de songer comme le font les vivants. On ne se dit plus « Dois-je manger, puisque j’ai faim ? », « Faut-il que je lui dise que je le trompe ? », « Comment lui dire que je l’aime ? », ou encore « Est-ce que j’ai assez d’argent pour aller au concert de Coldplay ? ». Ce genre de questions existentielles sont… des questions justement existentielles ! Mais lorsque l’on existe plus à proprement parler, tout devient limpide. Ainsi, je sais.

Thomas passe sont temps dans des bars minables, et va sans doute louper ses examens de fin d’année, Ruthie ne s’entend plus avec personne, Hearther ne sait plus quoi faire de sa vie, et Ethan n’est plus le même. Ils ont formé quatre clans qui s’affrontent sans raison apparente. Ils cherchent à se détruire les uns les autres sans pour autant avoir le courage d’aller jusqu’au bout de leurs actes. Et cela pourrait continuer éternellement…

Mais, moi, je sais.
D’ici quelques jours, le train arrivant de Las Vegas apportera à Blueside tout un groupe d’étudiants de l’âge de mes amis. Ils seront dix. Ils seront riches. Ils seront sans foi ni loi. Habitués à vivre comme bon leur semble, au jour le jour, à agir sans se soucier des conséquences de leurs actes, ils ont tout de même été forcés d’aller achever leurs études à Blueside. Pourquoi ? Nul ne le saura, tout d’abord. Mais, moi, je sais. Le leader du groupe a échappé à la prison parce qu’il a assez d’argent pour corrompre toute une assemblée, mais il était pourtant accusé de trafic de drogue et de violence abusive sur quelques individus que je ne nommerai pas. Sa petite amie est une vraie peste : superficielle au possible, elle n’a aucune idée originale, mis à part lorsqu il s’agit de monter les gens les uns contre les autres.
Le nom de leur clan ? BE YOURSELF. Et, oui, lecteur, il s’agit bien des initiales des prénoms de nos dix nouveaux venus. Oui encore, leur intention n’est nullement d’achever tranquillement leurs études. Enfin, il est plus qu’évident qu’ils vont être au courant de la guerre déjà lancée entre les anciens membres du HEART, et je puis vous assurer qu’ils vont faire plus qu’y prendre part.

Moi, lecteur, je sais qu’à toute nouvelle année, il faut un nouveau journal, mais, comme nous vivons au XXIème siècle, je serait plutôt d’avis de dire :

Les fantômes du passé

- Je suis désolé.

Quatre regards étaient fixés sur cet homme en blanc. Il était jeune, trop jeune pour être déjà médecin, mais il avait dit que le chirurgien l’avait envoyé leur « annoncer la nouvelle » dans la salle d’attente, car lui avait une autre urgence. Pourtant, les quatre âmes blessées n’arrivaient pas à comprendre, sur le moment, ce qu’il pouvait y avoir de plus urgent que cela. Le futur chirurgien avait l’air bien embarrassé. Il l’avait vue expirer, cette pauvre fille aux poumons perforés, mais jamais il n’aurait cru que ce serait à lui d’expliquer calmement à quatre de ses amis que rien n’avait pu la sauver…

Le cœur était brisé. HEART n’existait plus, c’était définitif, à présent. Tout cela parce qu’il manquait une lettre au milieu du mot. Le sujet du « A » serait désormais tabou, mais, pire que cela, les quatre autres lettres se tourneraient le dos, feignant de se détester, et finissant par se haïr pour de bon.

Il n’y eut plus de « nous ». Ce fut Hearther, Ethan, Ruthie et Thomas, séparément, et sans Alexia.
Chacun d’entre eux réagit différemment, et, s’éloignant davantage les uns des autres, ils finirent par reconstituer leurs quatre propres clans personnels, qui se faisaient chacun la « guerre ». Le fait d’aller à l’Université de Blueside n’a rien changé à cela, bien sûr. Qui aurait cru que leur passé finirait par les rattraper ?…

- Je suis désolé.

Quatre regards étaient fixés sur cette femme en rouge. Elle était jeune, trop jeune pour que sa mort soit acceptable.
Elle avait l’air abasourdi, allongés sur son lit blanc, observant d’un œil hagard la pièce impersonnelle dans laquelle elle se trouvait.
Qui était auprès d’elle ? Un jeune homme trop jeune pour être un chirurgien, et deux autres personnes qui lui étaient chères et qui n’étaient autres que ses parents. Monsieur et Madame Lewis. Les discours qu’ils tenaient était abracadabrantesque, elle avait peine à le comprendre. Une phrase prononcée par son père résonnait depuis cinq minutes dans son esprit embrumé : « Il est impératif que tu disparaisses, mon ange, c’est pourquoi nous avons organisé tout cela… ».
Disparaître ? ‘Tout cela’ ? Il y avait trop de questions et trop peu de réponses…
Elle ne comprenait pas comment ses parents pouvaient dire calmement qu’ils avaient prévu cet accident. Car c’était un accident, n’est-ce pas ? Il y avait Ethan qui criait après elle, Ruthie qui conduisait, Thomas qui disait à Ethan de cesser de s’énerver, Hearther qui essayait de ne pas prendre part au débat… Et ce feu qui était rouge, et ce camion que nous avons percuté… Comment était-ce possible ?
Et puis sa mère l’abreuvait encore de paroles. Elle, elle avait mal à la tête. Juste mal à la tête. Pourtant, elle avait traversé la vitre, n’est-ce pas ? Tout ceci était tellement obscur… Que disait madame Lewis ? Alexia fit un effort pour écouter… Elle lui présentait le jeune homme en blouse blanche. Hayden Loïc Grimhill. Il avait à peu près l’âge de la jeune femme, semblait-il, et souriait à celle-ci sans mot dire. Un sourire pénétrant qui lui fit presque peur, quoiqu’il était très doux. Elle n’eut pas le droit à davantage d’explications, et passa trois jours entiers à l’hôpital sans pouvoir appeler qui que ce soit. Hayden veillait nuit et jour sur elle. C’en devenait stressant…

Blueside. Début du mois de novembre. Plus d’un an et demi après l’accident.
Une limousine venant de l’aéroport s’arrête à l’hôtel du Heavenwood, pour laisser descendre une jeune femme sublime, précédée par un non moins sublime jeune homme. Elle va lui prendre la main tendrement, tandis qu’il lui adresse un de ses sourires pénétrants dont il a le secret, mais qui n’effraient plus du tout la demoiselle, depuis le temps… Elle a l’air d’une parfaite touriste qui vient ici pour la première fois de sa vie. Elle fait du moins bien semblant de ne pas connaître les lieux…

- Une chambre ? Bien sûr… A quel nom, je vous prie ?

Hayden regarda Alexia, la laissant répondre. Elle regarda le réceptionniste bien en face, et, parée d’un sourire radieux, elle répondit tout naturellement :

- Mademoiselle Mary Grimhill.